Les gens sont des messagers

Après avoir travaillé sept ans dans le secteur bancaire, Pauline Wald s’est réorientée dans la psychologie. En 2017, elle entreprend une marche de 4 mois, sur 2000 Km à travers la France et l’Espagne. Son objectif : les soleils de Compostelle. Sur la route, elle rencontre de nombreux pèlerins, leur demande ce qui les a amenés à se lancer sur ce chemin et ce que cette aventure leur apporte. Ses rencontres et réflexions ont entrainé la réalisation d’un film, « Chemins de Vie, Marcher vers son Essentiel ». Le film fait actuellement l’objet d’une tournée de projections de conférences à travers la France.

Le récit ci-dessous se déroule lors d’une marche en Espagne, pendant une randonnée de 10 jours sur les chemins de Compostelle.

Je marche depuis 10 jours dans le Pays basque espagnol. Aujourd’hui, mon sac à dos me paraît particulièrement lourd, chaque pas est un effort. Le spleen m’envahit et ne semble pas vouloir me quitter depuis ce matin. C’est le genre de coup de blues qui arrive dans le quotidien mais qui parait bien plus violent quand on est hors de chez soi, sans repère et qu’on est sensé en « profiter ». Le genre de coup de blues où on se met à remettre en question plein d’aspects de sa vie. ⁣ Il n’y a pas d’échappatoire, il reste encore 10 kilomètres avant Bilbao et je vais devoir les faire, à contrecœur.

Je viens d’arriver à Bilbao après cette journée intense de marche et je suis seule dans le dortoir, il semble que pour ce dernier soir, mes compagnons de marche ont choisi un autre gîte et je n’ai pas leur numéro de téléphone. Je m’écroule sur le lit. Je n’ai pas la force de me relever pour aller dîner et encore moins de cuisiner les lentilles que je cuisine quasiment chaque soir depuis 10 jours. ⁣

J’utilise le peu de forces qu’il me reste pour faire un pacte avec la Vie, en émettant l’intention suivante : ⁣
« Je vais me bouger et aller chercher un endroit où dîner. Peux-tu mettre sur mon chemin quelque chose qui va me remonter le moral ? ». ⁣

Je me balade dans Bilbao en gardant les yeux ouverts. C’est l’heure de l’apéro ; les gens semblent tellement heureux et insouciants dans cette ville surnommée la « capitale de la joie ». Et moi je transporte toujours sur mon dos la mélancolie.

Je choisis un bar à tapas dont l’ambiance semble conviviale. Au moment de passer commande, une femme d’une cinquantaine d’années me demande s’il elle peut s’asseoir à côté de moi. Une part de moi a envie de refuser par peur de la contaminer de ma mauvaise humeur. Mais j’essaie de me montrer ouverte à la discussion.

Elle me demande ce que je fais à Bilbao, et dans la vie plus généralement. Je lui dis que je marche depuis Hendaye et que c’est mon dernier soir sur le Chemin de Compostelle pour cette fois-ci. De son côté, elle est ici quelques jours pour visiter la ville et ses environs. Très rapidement, je lui parle des pensées qui m’envahissent, de ma lassitude et des doutes sur une situation précise que je vis. Et là, elle me répond :

« Imagine que tu as 75 ans et que tu regardes ta vie et cette situation plus spécifiquement. Comment tu vois la situation ? Qu’est-ce que tu as envie de te dire ? »⁣
Je fais l’exercice et je m’imagine dans 40 ans en train d’observer celle que je suis maintenant.

Je ressens de la tendresse pour moi.

Et la situation qui me « prenait la tête », – une décision que j’ai à prendre en rentrant du chemin- me paraît dérisoire. En effet, en me voyant à 75 ans, je me rends compte que ce jour peut être demain. En prenant ce recul, je me vois marcher sur un chemin, avec différentes routes possibles qui se séparent pendant un petit instant, puis se rejoignent à la fin. La décision que j’ai à prendre a peu d’importance tant que je continue de marcher dans la direction de ma joie, avec conscience. C’est cela que j’ai envie de dire à celle que je suis aujourd’hui.

On arrive à la fin du dîner, elle retourne à son hôtel et je retourne dans mon dortoir, avec un sentiment de légèreté. Revigorée, je décide moi-aussi, de devenir un messager pour quelqu’un.

Peut-être que c’est ainsi qu’on change le monde, à son niveau.

Je m’endors en pensant au « moi » qui a 75 ans.

Elle me regarde en souriant.

Texte par Pauline Wald
Illustration par l’artiste PimCat.

Pour en savoir plus sur le film de Pauline Wald, rendez-vous ici !

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