Alexandra Phillips :
“Seules nous ne pouvons rien faire, c’est avec la citoyenneté que nous portons des combats politiques”.
Alexandra Phillips est maire de Brighton en Angleterre et elle a été l’une des députées européennes qui s’engagea contre le Brexit. Trentenaire, elle fait partie de cette nouvelle génération anglaise qui porte haut les couleurs de la justice sociale, de la lutte contre le réchauffement climatique et du cosmopolitisme. Elle revient dans cet entretien pour l’Archipel des Alizées, sur l’importance d’orienter les politiques écologiques vers une lutte contre la précarité, et de porter envers et contre tout le vivre ensemble dans la diversité à l’échelle des communalités. Un entretien mené par Damien Deville, Marie Bourgine et Sylvain Delavergne.

Alexandra Phillips : Je crois vraiment que c’est en donnant les moyens à chacun de s’épanouir, d’avoir une vie émancipatrice et choisie qu’on peut vraiment renouveler les conditions du vivre ensemble, et donc intégrer les enjeux écologiques dans le débat démocratique. Par ailleurs, ce sont souvent les populations les plus pauvres qui ont besoin de politiques ambitieuses pour mieux se loger, se nourrir, avoir une bonne santé, un travail qui a du sens, accéder à des espaces de nature à proximité pour éduquer les enfants. Je crois vraiment que la nature est synonyme d’émancipation, peu importe la classe sociale ; au même titre que mieux vivre permet de mieux intégrer la nature dans nos modèles de développement. Je ne dirais pas que politiques sociales et environnementales vont dans le même sens, j’irais plus loin en disant que l’une conditionne l’autre et vice versa.
ADA : La politique néolibérale du Royaume-Uni menée depuis plusieurs décennies semble avoir creusé les inégalités. Ces dernières deviennent de plus en plus visibles dans l’espace public. Brighton est notamment marqué par des niveaux de salaires extrêmement variables, et les plus pauvres manquent souvent d’opportunités. Quelles actions peut porter une mairie écologiste pour faire face à la précarité ?

A.P. Les populations ouvrières ont été les premières touchées par les politiques néolibérales. Elles ont augmenté la détresse sociale, précarisé nombre de personnes et surtout empêché nombre d’étudiants de travailler et de se projeter dans le futur. Pour ces étudiants qui se sont souvent endetté sur de nombreuses années pour payer leurs études, ils n’ont plus la capacité de rembourser leurs dettes à la sortie de l’école, même avec des diplômes prestigieux ! En 2015, je crois que le tout a empiré : la Royaume Uni a renoué avec la croissance économique en misant sur ce que certains politiques et scientifiques appellent la “Gig economy”, c’est à dire les entreprises liées à Amazon, à l’ubérisation de la société, à Deliveroo, etc… Ce sont littéralement des petits boulots qui confèrent peu de protections sociales et les salariés de ces entreprises gagnent relativement peu tout en travaillant énormément. Tout cela devrait changer, cette manière de fonctionner devrait être illégale. La société devrait protéger ses travailleurs, en Angleterre ou ailleurs et le parti des verts à un rôle primordial à jouer en proposant des protections ambitieuses pour ceux et celles qui vivent la précarité de l’emploi au quotidien.
À Brighton, nous avons essayé d’interdire ces entreprises liées à l’ubérisation sur le territoire municipal, mais cela n’a pas marché. Néanmoins nous avons pu porter quelques combats à l’échelle nationale. A Londres, un propriétaire ne peut maintenant louer son appartement sur AirBnB que 30 nuits par an maximum. Cela nous permet de créer une frontière, une protection pour d’autres types d’emplois spécialisés en hôtellerie. Cela limite également la gentrification du centre-ville. A Brighton, la problématique est plus compliquée. AirBnB ne fonctionne pas très bien car les gens préfèrent acheter et s’installer définitivement sur place, le bord restant très attractif, ou alors garder la maison pour le weekend et les vacances. Néanmoins ça nous pose un problème politique : la presque totalité du foncier est dédiée à de nouvelles maisons, plus ou moins luxueuses, qui sont finalement très peu occupées dans l’année. La mairie se retrouve alors prise dans un étau : alors que la précarisation de l’emploi nécessite de construire de plus en plus de logements sociaux, la libéralisation du marché immobilier couplée à notre situation géographique entraîne une forte montée des prix et le logement devient accessible uniquement aux plus aisées. J’espère que la crise du COVID-19 va entraîner un déclic. Les gens vont être amenés à moins voyager, à porter peut-être davantage d’activités voire d’engagements dans leurs propres localités. J’espère qu’à Brighton cela va également amener davantage de solidarité entre les classes sociales. De notre côté, je pense que la prise de conscience de la précarité de nos sociétés va nous donner de l’oxygène : on aura surement plus d’outils pour porter de vraies politiques sociales, à commencer par le logement, et de travailler à de nouvelles filières d’emplois réels et résilients sur le territoire.


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