Joël Giraud

“Pour réinventer la ruralité, faisons confiance aux territoires ”

Joël Giraud est ministre de la ruralité. Ayant grandi dans un petit village des Alpes, sa vision des territoires ruraux est façonnée par les montagnes et par les problématiques qu’il a vécu depuis son plus jeune âge. Dans cet entretien exclusif pour l’Archipel des alizées, il revient sur sa vision des territoires ruraux et sur les espoirs qu’il place au cœur de sa politique. Un entretien réalisé par Damien Deville, Benjamin Coton et Antoine Vasa.

Archipel des alizées  : vous êtes originaire des Alpes, vous avez commencé votre carrière politique en devenant élu municipal à L’Argentière-la-Bessée, une petite commune située dans le massif des Ecrins. Depuis, les montagnes ne vous ont jamais quitté… Rares sont les femmes et les hommes politiques qui font de leurs attaches à un lieu la matrice de leurs parcours et de leurs réflexions. Comment les montagnes inspirent-elles votre action au quotidien ?

Joël Giraud : Mes parents vivaient dans un petit village des Alpes. Je devais naître à Briançon, mais il avait trop neigé, entraînant la fermeture de la route. Je suis né à l’hôpital de Gap, le seul accessible ce jour-là. C’est pourtant une ville dans laquelle je n’ai remis les pieds que de longues années plus tard. Ma naissance est, d’une certaine manière, le témoin des problématiques qui traversent les territoires fortement enclavés, à commencer par les territoires montagnards : la fuite des opportunités, l’inaccessibilité à de nombreux biens et services, les transports toujours trop longs pour se rendre pourtant à des destinations qui sont relativement proches. Un exemple, pour aller à la fac de Lyon où je faisais mes études, je devais traverser deux fois la frontière italienne, dans le sens France-Italie, dans le sens Italie-France et il me fallait des autorisations de sortie du territoire de mes deux parents. Avoir vécu ces problématiques dans ma chair oriente nécessairement mon action politique.

Mon expérience d’élu local nourrit également mes convictions. Quand je suis devenu élu municipal à 26 ans, je me suis confronté au manque d’ingénierie des petites communes. Les élus municipaux devaient tout faire : rédiger le bulletin municipal, prendre eux-mêmes la pelle pour certains travaux, participer au déneigement. Forcément, cela mange de l’énergie, du temps, des convictions que les élus devraient davantage passer aux orientations de la commune. Et puis, sans ingénierie les projets ne vont jamais aussi loin qu’imaginés.

À mon arrivée au Gouvernement, l’une de mes premières priorités a été justement de redonner du pouvoir d’ingénierie aux petites collectivités. Ce n’est pas forcément l’argent qui manque en France, surtout pour les projets d’investissements territoriaux, ce sont davantage les péréquations et dynamiques de redistribution qui font déficit. Nous avons donc fait évoluer les logiques en créant l’Agence nationale de cohésion des territoires, qui peut maintenant intervenir directement auprès des territoires et qui met également en œuvre le dispositif des volontaires territoriaux d’administration. Cette politique est assez systémique, elle permet de mettre en réseau les acteurs des chantiers et les collectivités, de débloquer de l’argent vers les territoires, et de permettre à des jeunes de partager leurs expertises tout en s’installant potentiellement dans ces lieux. Concrètement, les volontaires territoriaux sont de jeunes diplômés que nous envoyons dans les territoires pour des opérations de douze à dix-huit mois. En apportant leurs compétences, ils apportent également de l’ingénierie locale. En échange, ils sont formés à des métiers porteurs pour les territoires ruraux, et choisissent parfois de poser définitivement leurs valises…

ADA : Réinvestir dans les communes cache parfois une forte volonté d’attractivité. Pour des communes à faible budget, cela entraîne un biais : investir fortement pour des populations qui ne sont pas là, qui peut-être ne viendront jamais, laissant sur le bas-côté des populations qui vivent d’ores et déjà sur le territoire, et qui auraient tant de choses à apporter si seulement on savait les regarder autrement. Comment redonner du pouvoir d’agir à celles et ceux qui sont toujours resté·e·s ?

J.G. L’une des clefs est de restructurer les services aux populations. Même si cela ne concernait parfois que les ouvriers au détriment des autres populations, les industries du territoire avaient mis en place de nombreux services pour leurs employés, services qui structuraient l’économie, les sociabilités autant que les paysages locaux. Tout cela s’est érodé avec la rapide désindustrialisation de la France. Construire des pôles de service permanent peut, par extension, redessiner en partie les courbes sociales et paysagères d’un territoire.

Il faut aussi combattre certains préjugés. Dans les anciens territoires industriels, il y a une rengaine qui revient souvent : « c’était mieux avant ». Alors que ce n’est pas forcément le cas. Penser le futur des territoires, c’est se projeter bien davantage que de regarder dans le rétroviseur. Et se réinventer un nouvel avenir, c’est quand même mieux lorsque l’on fait confiance à des jeunes qui veulent s’installer sur le territoire, qui ont un certain bagage, et qui veulent travailler sur un projet de territoire. Lorsque j’étais maire, ce n’était pas la mode, ça l’est davantage maintenant et cette dynamique est renforcée par la pandémie de la CoViD-19. Je crois que les pouvoirs publics ont intérêt à accompagner ce mouvement de retour aux territoires.

Et puis, nous devons revaloriser ce qui se passe dans les localités. Les jeunes ont tendance à penser qu’aller faire leurs études ailleurs, c’est toujours mieux. Non, tout ce qui est en ruralité n’est pas au rabais, il existe autant de structures de qualité que dans les grandes villes. 

Nous avons, au Ministère, porté dans ce sens l’idée du Président de la République de déployer les « France Services », qui concentrent une base de services indispensables à tout territoire, tout en bâtissant autour des services spécifiques, dépendant de la singularité de chaque territoire. Ces services participent également à l’emploi des gens qui sont déjà là, comme de ceux qui souhaitent s’y installer. Sans service, impossible de faire sa vie sur un territoire.

Dans le programme « Petites villes de demain », nous travaillons également à la réhabilitation de l’habitat grâce à des foncières. L’exemple le plus connu est « Villages vivants », ils font un travail fantastique en redonnant vie et fonction à des bâtiments tombés en désuétude. Inciter des villes et villages à se grouper permet de porter des politiques financières pertinentes.

“Non, tout ce qui est en ruralité n’est pas au rabais, il existe autant de structures de qualité que dans les grandes villes « 

ADA : Vous l’avez déjà évoqué, mais le sujet nous semble majeur, et demande de s’y attarder davantage. Les déserts médicaux sont particulièrement forts dans les milieux ruraux. Comment faire en sorte d’installer durablement des médecins et plus généralement améliorer les dynamiques de santé dans les territoires ruraux ?

J.G. La santé m’apparaît comme un sujet transversal, qui concerne tous les ministères d’une manière ou d’une autre. La ruralité devient alors un réceptacle de ces politiques interministérielles. Dans ce sens, j’ai fait nommer des référents ruralité dans toutes les directions générales de l’administration centrale. Idem dans les préfectures.

Cela peut paraître anecdotique, mais ça participe à changer de paradigme, en devenant inclusif de la diversité des territoires dans toutes les politiques publiques qui sont portées. De cette nouvelle manière de voir a émergé la suppression du numerus clausus pour les études en médecine, tout comme la pérennisation de certains protocoles qui ont été mis en place pendant la période CoViD. Exemple : le remboursement de la télémédecine pour tous et toutes. Une politique allant de pair avec le développement de la fibre optique et des réseaux 4G/5G sur un certain nombre de territoires. C’est un vrai enjeu, la fibre, car pour que des personnes s’installent dans des territoires reculés et y portent une activité professionnelle, le réseau est une des conditions primordiales.

Nous avons également mis en place des politiques incitatives à l’installation des médecins dans les territoires ruraux, en augmentant de 50 % les indemnités de stage des internes dans les zones sous-denses. Cela se fait également grâce aux écoles de médecine : concrètement, un étudiant en dernière année de médecine peut faire une partie de son internat dans un espace rural. Et pour pouvoir accueillir ces médecins, nous sommes en train d’investir dans des maisons pluridisciplinaires de santé. Peut-être que certains d’entre eux, par coup de cœur, par attachement à la population, finiront par s’installer définitivement dans ces territoires.

Lorsque je siégeais il y a plus de dix ans au Conseil régional de Provence-Alpes-Côte d’Azur, nous avons lancé les deux premiers projets de maisons pluridisciplinaires de santé. L’une à la Seyne-sur-Mer, une commune de 65 000 habitants, et l’autre dans un petit village du Queyras. Ces deux territoires avaient des problématiques propres. À La Seyne-sur-Mer, c’était un territoire avec beaucoup de trafic, un espace public peu approprié, limitant les déplacements et donc l’accès au soin. Dans le Queyras, c’était l’isolement géographique qui limitait la capacité des populations à se faire soigner. Cet exemple montre que dans nombre de politiques publiques, il ne sert à rien d’opposer villes et campagnes, mais davantage de réfléchir aux enjeux singuliers qui composent chaque localité, qu’elle soit urbaine ou rurale. 

L'Argentière-la-Bessée, village des Alpes Française dont Joël Giraud a été maire de 1989 à 2017

ADA : Vous êtes l’un des porte-drapeaux de la cause LGBTQIA+ dans les territoires ruraux. Si vous dites ne pas en avoir particulièrement souffert, pensez-vous que ces enjeux sont forts en milieu rural ? Quelle action politique pourrait/devrait alors y être menée ?

 

J.G. Le regard en province a tendance à changer. J’en suis quelque part la preuve, ayant été élu maire puis député. Néanmoins, pendant longtemps cette cause en ruralité était mise en invisibilité dans l’agenda politique. Nous ne le dirons jamais assez, mais, dans un autre registre de discriminations, il y a plus de femmes en situation précaire au niveau rural qu’en zone urbaine. Ça peut paraître contre-intuitif, mais c’est une réalité statistique. C’est dire ! Là encore, les imaginaires sur la ruralité sont à changer, ce sont des lieux qui incarnent également une diversité de parcours de vie.

Concernant la cause LGBT+, il y a un vrai enjeu sur les problèmes de violence et de non-insertion sociale. Il y a des gens qui sont virés de leurs maisons et qui ne trouvent pas de structure d’accueil. Pour combler les déficits en la matière, nous avons fait un appel à manifestation d’intérêt pour financer des associations engagées en la matière dans les territoires ruraux. Nous avons également travaillé avec la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), afin de mettre en place un bonus sur les appels à projets qui concernent les espaces ruraux. Il nous faut tisser les réseaux associatifs et mailler l’espace français. L’appel vient tout juste d’être lancé, nous attendons les remontées des différentes propositions de projets.

ADA : À l’archipel des alizées, nous avons une tradition : finir nos entretiens par une touche de poésie. Est-ce qu’il y un lieu que tu aimes et que tu aimerais partager avec nous ?

J.G. Il y en a tellement que j’aime… Partout en France… Particulièrement chez moi dans les Hautes-Alpes…mais je dirais le Lac d’Orta, c’est le plus petit des lacs italiens, l’un des moins connus, et pourtant quelle beauté ! En l’occurrence, il me rappelle un week-end passé avec quelqu’un

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