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En portant un arrêté anti-pesticide dans le village de Langouët, Daniel Cueff est devenu le symbole de la lutte écologique des campagnes et des villages. Aujourd’hui, il a rendu son écharpe de maire et revient, pour l’archipel des Alizées, sur les 20 dernières années de sa vie. L’occasion pour lui de revenir sur les engagements qui ont marqué son mandat politique et son engagement pour le territoire. Car, si Daniel Cueff a été médiatisé pour son arrêté anti-pesticide, son action pour Langouët dépasse de loin l’agriculture : il est également l’architecte de nouvelles manières de faire démocratie et de faire territoire.
Daniel Cueff : Dans les petits villages ruraux, nous avons un mode de scrutin très particulier : le scrutin uninominal à deux tours où l’on vote pour des personnes et pas pour des projets ni pour des listes. Cela incite à l’engagement politique citoyen même si nous ne sommes pas d’un parti politique ou un gars du coin. Dans ce scrutin, les gens peuvent se présenter ensemble sur une liste, les citoyens votent uniquement pour des individus. Les votants peuvent donc rayer des noms, mélanger des noms ou des listes. Il y a 20 ans on pouvait voter pour des gens qui ne se présentaient pas, on peut se présenter tout seul, et les gens choisissent parmis les noms. Dans la commune de Langouët, quand j’ai commencé à m’engager, les gens semblaient en avoir marre de l’équipe municipale en place : ils avaient une vision clanique des choses et il y avait une réelle volonté de renouveau. En mélangeant les noms, en rayant certains noms et en favorisant d’autres, on pouvait renverser le pouvoir en place. Je me suis donc rapidement engagé pour ma commune, d’abord en tant que conseiller municipal. Et il s’avère également qu’en 1999, le maire présent a été amené à démissionner en même temps que partaient trois conseillers municipaux, pour des raisons professionnelles ou de santé. La loi dit que quand le maire n’est plus en poste, il y a la nécessité que le conseil municipal soit au complet pour qu’il puisse élire un nouveau maire. Le déficit en conseillers municipaux a entraîné une élection partielle où j’ai présenté trois candidats. Les trois candidats ont été élus et je suis devenu, de fait, majoritaire au conseil municipal. En Octobre 1999, je suis alors élu maire de la commune par le conseil. J’ai été réélu ensuite plusieurs fois jusqu’aux élections municipales de 2020 où j’ai choisi de ne plus me représenter.
Daniel Cueff : La question que j’ai amenée à Languët en 1999 dès que j’ai été élu maire, c’était de dire “engageons nous pour le développement durable”. Aujourd’hui ça peut paraître relativement banal, mais à l’époque c’était un terme étranger au langage politique, surtout à l’échelle locale. Si l’actualité internationale en parlait, les élus avaient alors du mal à s’approprier dans leurs pratiques politiques la manière de le porter et de le revendiquer. L’écologie se résumait alors souvent à l’amélioration du cadre de vie. Dans des communes rurales comme la nôtre, cela revenait souvent à aménager des massifs et diversifier les parterres de fleurs. Amener alors la notion de développement durable au coeur du conseil municipal traduisait, selon moi, davantage d’ambitions politiques. On a commencé cette démarche avec des questions simples permettant tout de même de se projeter sur du long terme : qu’est-ce qu’une commune pouvant se passer d’énergie fossile ? Qu’est-ce qu’une commune qui pourrait avoir une cantine 100% bio ? Qu’est-ce qu’une commune qui porterait des logements sociaux 100% écologiques ? Qu’est-ce qu’une commune qui produirait sa propre énergie renouvelable ? Quelle serait une commune qui pourrait travailler sur la mobilité décarbonée ? Quels seraient les espaces verts d’une commune sans produits phytosanitaires comme le désherbant ?
Ces différentes questions amenaient des challenges politiques motivants auxquels il fallait alors apporter des réponses pratico-pratiques. Ce cadre politique nous a également permis de déployer très rapidement deux intuitions fortes. La première intuition que nous avons eue, c’est une vieille intuition chez les écologistes : ne pas avoir d’adjoint.e dédié.e au développement durable. Car, à partir du moment où toutes les décisions prises doivent être arbitrer en fonction du développement durable, à quoi cela sert-il d’y dédier un portefeuille politique ? Le développement durable est devenu ainsi transversal à l’intégralité des délégations données à chaque adjoint.e. C’est peut être là l’une des plus belles décisions politiques que nous avons prise.
La deuxième décision que nous avons prise fait suite à une expérience malheureuse que nous avons eue : nous avons renoncé à la démocratie participative. Cela peut paraître antinomique à une politique écologiste mais, paradoxalement, la démocratie participative a tendance à être extrêmement conservatrice. Nous l’avons expérimenté en début de mandat au sujet du réaménagement de la route qui passait au coeur du bourg. Il faut imaginer une route linéaire qui traversait le village et qui favorisait la vitesse et donc l’insécurité. Sur demande des habitants, nous avons donc organisé des réunions publiques pour arbitrer sur de nouveaux aménagements. Mais, pendant ces réunions publiques, les propositions des gens tournaient exclusivement autour de choses très conformistes : des coussins berlinois, des dos d’ânes, des barrières… Des réponses qui nous paraissaient très dures. Mais je crois que c’est parce les gens amenaient dans le débat des choses qu’ils avaient déjà vues par ailleurs, ce qui limitait les réponses singulières et innovantes pour notre territoire. Alors que nous, dans notre esprit, on voulait lutter contre la vitesse en mettant des arbres, du paysage, et surtout, en réintroduisant des poules à l’intérieur du village. Une idée séduisante : il n’y a rien de plus con qu’une poule, ça traverse où elle veut, quand elle veut, on ne sait jamais par où elle va et, de fait, oblige les voitures à ralentir. Et puis, surtout, les poules ramènent de la vie dans le village. Cette idée a été mal reçue et la démocratie participative paraissait alors un frein aux politiques du développement durable que nous voulions porter.
Nous avons donc choisi de renoncer à la démocratie participative. Nous l’avons même combattue pour la remplacer par une autre forme de démocratie : la démocratie coopérative. C’est à dire que, en tant qu’élus, nous fixons des cadres non négociables, et, qu’à l’intérieur de ces cadres, nous invitons les gens à apporter leurs compétences et leurs visions. Par exemple, afficher la volonté d’avoir une cantine 100% bio est un cadre. Il est non négociable. Mais, une fois ce cadre établi, toute personne volontaire, cuisinier, parent, agriculteur, élu, tous ceux et celles qui sont d’accord avec la démarche et qui veulent nous aider pour réaliser cet objectif peuvent venir travailler avec nous. Cette démarche nous semblait prometteuse parce qu’élu comme citoyen, à l’époque, ne savions absolument pas comment faire une cantine 100% bio. Il n’y avait encore aucun exemple en France permettant de s’inspirer. Mais, par l’intelligence collective, nous y sommes arrivés, au point d’avoir en 2004 la première cantine 100% bio de France. Mais, au-delà du projet en tant que tel, la démocratie coopérative permet de signifier d’emblée aux gens qu’ils sont compétents pour nous aider ! On a besoin de leurs cultures, de leurs savoir-faire, de leurs métiers, de leurs expériences sociales, de leurs idées pour atteindre un horizon commun.
“Nous avons renoncé à la démocratie participative”
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